Tout paraissait plus simple, au départ. Cole, dix-huit ans, venait juste de tomber éperdument amoureux d’une petite prude des beaux quartiers. Il avait aperçu Jill en boite de nuit, s’était demandé ce qu’elle faisait là, elle l’avait repoussé, il était accroché. Aussi simple que ça, je vous dis. Il a mis une semaine avant qu’elle ne cède. Ils vivaient un de ces histoires où on s’engueule autant qu’on s’embrasse, et elle l’embrasait, cette fille. Et puis il y avait Nora, l’amie de Jill, qui semblait faire chavirer le cœur de son meilleur ami de sa crinière rousse. « Je te jure CJ, cette fille, je vais l’épouser ! » il était comme ça West, complètement… complet. Ces quatre là vivaient simplement, au rythme de leurs nuits, qu’ils passaient toujours fourrés les uns avec les autres.  Les parents des demoiselles désappréciaient ? Tant mieux… ca rendait les choses d’autant plus bonnes. C’était simple, certes. Jusqu’à cette dispute, encore une, avec Jill. Jusqu’à ce qu’il appelle West afin qu’il vienne le chercher parce que sa copine l’avait laissé sur le carreau, faisant crisser les pneus de sa jolie petite voiture sur l’asphalte.  Ils devaient tous aller boire un verre, pourtant… oh, elle lui reviendrait bien, il en était sûr. Ils leur suffiraient d’un regard, toujours brûlant, pour que leurs lèvres se trouvent à nouveau. Voilà ce à quoi il pensait, lorsqu’il entendit les voitures de pompiers passer devant lui à toute allure. Un quart de seconde, voilà ce qu’il avait fallu pour que sa vie bascule. Un quart de seconde, et West venait de mourir. Un quart de seconde, et il ne verrait plus jamais Jill.

Il avait simplement grillé un stop, et on lui était rentré dedans. Mort, sur le coup. En voyant le nom d’Edward – West avait toujours détesté son prénom – sur la pierre tombale, Cole avait décidé de tout envoyer valser. Cette ville, cette vie. Alors, il avait quitté le pays, deux mois durant. Avant de se rendre compte qu’il ne pourrait tout simplement pas fuir les souvenirs d’une vie qui aurait pu… puis, il était rentré. Allez savoir pourquoi, mais ce vide, toujours présent, l’avait poussé à frapper à la porte de la seule personne qui semblait avoir été aussi touché par cette perte que lui ; Nora. Elle l’avait aimé, son ami. Plus que de raison, sûrement. Et elle n’arrivait pas à remonter la pente. Sa famille semblait vouloir d’elle qu’elle tourne la page aussi facilement que celle d’un livre, et qu’elle parte de New York pour une de ces conneries de super université qui n’ont de super que leur réputation. Mais Cole… il la comprenait. Lorsqu’elle lui parlait de West, de ce qu’elle aurait voulu, de ce qu’il lui disait vouloir pour elle. « Je ne peux pas continuer, tu sais. Ils attendent tous de moi que je fasse mes valises pour Dartmouth, que j’avance mais… je ne peux pas quitter New York. Je ne peux pas. » assis sur ce banc qui les accueillait régulièrement, ils passaient des heures à refaire le monde, ou bien à ne rien dire ; mais ils étaient ensemble, et ca leur faisait un bien fou. « Alors reste. Tu as bien été accepté à NYU, non ? » il n’osait pas le dire, mais si elle partait maintenant… il s’y perdrait, assurément. « Si je reste ici, adieu ma bourse d’étude, au moins pour cette année ! Et mes parents… jamais ils n’accepteront que je tourne le dos à tout ce dont ils rêvaient. » c’était fou comme il avait pu s’attacher à cette fille en si peu de temps. Sa fragilité, sa franchise, tout en elle lui faisait apprécier ce petit bout de femme. « Si tu veux rester, reste. On trouvera une solution. » et elle était restée. Elle avait emménagé avec lui et il ne lui avait jamais rien demandé. Cole avait commencé à travailler de nuit dans un bar et de jour comme serveur, simplement pour pouvoir lui payer tout ce dont elle avait besoin. Jusqu’à cette fameuse première année d’étude. Comprenez qu’il voulait qu’elle réussisse, comme l’avait voulu West, avant lui. Et lorsqu’elle lui criait qu’il était fou… oui, probablement. Mais ces choses là ne s’expliquent pas. Il s’était demandé un instant s’il n’était pas amoureux d’elle. La réponse était oui ; mais pas de ces amours là. Elle l’avait embrassé, pourtant, un an après le drame environ. Et il avait voulu lui répondre, il avait voulu y croire… seulement ils n’étaient pas… pas comme ça. Ils n’en avaient jamais reparlé depuis, intimement convaincus qu’ils étaient fait pour être dans la vie de l’autre, que leur attachement était mutuel, et singulier. Mais pas comme ça. Jamais amants. Amis. Plus que ça, même. Alors, pendant près de cinq ans, il avait pris soin d’elle. Jusqu’à ce qu’elle commence son internat à l’hôpital de Brooklyn, et qu’elle prenne doucement son envol.  « Je t’ai laissé un chèque sur ton lit, tu penseras à le mettre à la banque, pas comme la dernière fois. » il ne lui avait rien demandé, et ne comptait pas commencer aujourd’hui. Pourtant, elle insistait. « Paye moi en infirmière sexy, tu veux ? » un sourire charmeur, une petite vanne, et voilà qu’il évitait encore le sujet. « Je t’emmerde Cole, c’est le moins que je puisse faire. » il n’aurait pas le dernier mot, c’était à son tour, de prendre soin de lui. De le pousser vers une voie qui le passionnerait vraiment, comme il l’avait fait pour elle quelques années plus tôt. Et de le pousser à oublier Jill… parce que ce goût d’inachevé, il l’avait encore en bouche, même s’il ne voulait pas lui avouer. Elle pouvait l’entendre, certaines nuits, murmurer son prénom dans son sommeil. Un work in progress, ces deux là… mais un lien, bien trop précieux.