Des hurlements provenant de la cuisine me réveillèrent. Je m'étirais, grommelant quelques grossièretés dans ma barbe. Je m'assis sur le rebord de mon lit, essayant d'écouter plus attentivement ce qu'il se disait. J'entendis la voix de ma mère s'élever, bientôt suivie par celle de ma petite soeur Lissa. Je soufflais, accablé plus qu'autre chose de devoir supporter ce genre de scènes dès le matin. Il était grand temps que je quitte le domicile familial, si tel on pouvait l'appeler. Je me levais finalement, quittant ma chambre et laissant derrière moi les quelques espoirs de repos que j'avais encore. Je me rendis dans la cuisine, fortement surpris de voir l'ensemble de la famille. C'était bien la première fois depuis longtemps que tous été réunis. "C'est vraiment que pour se crier dessus que la famille se réunit." Déclarais-je, avançant dans le tas pour me servir un café. Pas de bonjour, pas d'amabilité. Ce n'était pas notre genre. Nous n'étions que des inconnus les uns pour les autres, rien de plus, rien de moins. C'était désolant, et souvent, j'avais un pincement au coeur en sachant que d'autres familles s'aimaient et étaient unies. "Tu ne peux pas continuer à faire ça, c'est honteux, et ça ne t'apportera rien !" S'écria ma mère. Ma réflexion avait surement intensifié sa colère, mais cela m'importait peu. Versant du liquide chaud dans ma tasse, je m'adossais contre le mur, observant la scène, comme si c'était un spectacle. Je n'avais toujours pas idée du pourquoi du comment de l'affaire. Je lançais un regard à notre aîné, Damian. "Lissa est escort-girl." Chuchota-t-il à mon oreille. Pas assez discrètement, car le regard de mon père devint noir à notre vue. Je ne pus m'empêcher de sourire. "Pourquoi tu lui fais la morale ? Vous n'êtes jamais là, quand vous l'êtes ça revient au même. On doit s'occuper seul de nous, et c'est exactement ce que Lissa fait. Vous croyez vraiment que c'est un choix pour nous les métiers et les choses qu'on fait ? On aurait bien voulu aller loin dans la vie, faire des études et toutes ces conneries. Mais avec quel argent ? Quel soutien ?" C'était à mon tour d'élever la voix. Je n'étais pas proche de Lissa. Je n'étais proche de personne dans ma famille. Personne ne l'était d'ailleurs. Pourtant, je ne pouvais pas la laisser se faire accuser et disputer comme ça. Elle ne le méritait pas. Elle essayait de faire sa vie, d'avancer, comme chacun d'entre nous. "On a pas le choix putain, vous déconnez en temps que parents, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour nous en sortir normalement ?" C'était malheureusement que trop vrai. Chacun de nous tremper dans quelque chose d'illégal, ou de malsain. "Fermez là un peu, et arrêter de la blâmer pour vos conneries." Déclarais-je finalement, le ton beaucoup plus calme et serein. Mon père s'approcha, furieux, et n'attendit pas longtemps avant de me claquer. Sous le choc, je laissais tomber ma tasse. Il n'avait jamais fait ça. Il se contentait d'ignorer notre existence, habituellement. Damian s'interposa, le faisant reculer pour prendre ma défense. Je ris. Quel beau portrait familial. Je quittais la cuisine, accompagné de mon frère et de ma soeur. Étrangement, ce moment, cet instant volé, nous avait rapproché, pour un temps du moins.

Je pris une profonde respiration. Il faisait nuit noire. Il n'y avait personne dans les rues, juste un silence qui laissait reposer en paix les morts. Je marchais, tête baissée, ne voulant pas me faire remarquer. Je sortis de ma poche une petite feuille, indiquant une adresse. Je n'étais pas loin. Je vis alors une grande maison, en mauvais état. Numéro 99, me chuchotais-je à moi-même comme pour être sur. Je ne savais pas ce qui m'attendait là. J'avais reçu quelques heures plus tôt un sms me disant de me rendre à cette adresse à minuit pile. Je connaissais ce genre de sms, je savais de qui il provenait même si le numéro n'était pas enregistré. Surement un téléphone jetable. C'était du boulot. Le genre de boulot qui rapportait gros. Le genre de boulot qui me permettait d'avoir une vie un minimum confortable, de ne pas me réveiller en ayant peur de ne pas avoir de quoi manger à la fin du mois, ou pire encore, de ne pas avoir de toit au dessus la tête. C'était la meilleure des solutions. Et la pire à la fois. Je regardais autour de moi, avant de pénétrais dans la maison. La porte d'entrée était ouverte. Il faisait noir. Sauf une lumière au bout d'un long couloir. C'est là que je devais me diriger. Quelque chose au fond de moi me crier de partir le plus vite possible d'ici. Je n'en fis rien. Je m'approchais, ne disant pas un mot. Le silence était toujours là, plus présent que jamais. J'arrivais finalement à ma destination. "C'est quoi cette merde ?" Lançais-je désemparé. Devant moi se trouver le corps d'une femme d'une quarantaine d'années, gisant dans son propre sang. Dans quelle merde je m'étais encore fourré ? Pris de panique, je me tournais en vitesse, prête à déguerpir. "STOP ! Ici la police, les mains en l'air." Je ne compris pas. Sa phrase très bien, la situation beaucoup moins. Il tenait dans ses mains une arme, qu'il pointait sur moi. Je compris alors. J'étais tombé dans le piège le plus bête du monde, et ma vie allait être à jamais chamboulé.

"Comment ça ?" Ce n'était pas possible. Pas maintenant, pas après tout ce temps. Huit longues années s'étaient écoulées. Huit années de souffrances, de traumatismes qui ne disparaîtraient jamais. Depuis le soir où j'avais été pris, je n'avais cessé de clamer mon innocence. Personne ne m'avait cru. Même pas ma famille. Surtout pas ma famille. Ils avaient tellement peu d'estime pou moi qu'il en était facile de m'imaginer ôter la vie de quelqu'un. J'avais passé huit ans derrière les barreaux, dans la pire prison possible. J'avais côtoyé les pires personnes au monde. Des tueurs, des violeurs. Je m'étais battu, j'avais été battu. Je gardais des cicatrices intérieures et extérieures de mon temps passé ici. J'avais été en isolement, plus d'une fois. J'avais cru qu'être loin de ces criminels étaient la meilleure chose possible, la meilleure situation dans une prison. C'était faux. J'avais cru devenir fou. Complètement cinglé. Le temps d'un instant, j'avais même réussi à me persuadé que j'étais coupable, que j'avais tué cette femme, que cette histoire de piège n'avait été qu'une façon de me défendre, que j'avais eu trop honte pour assumer vraiment. Et la liberté. Enfin. Elle m'appelait. Mon avocate était là, devant moi, sept ans après notre dernière rencontre. "Vous êtes libre Blake. C'est inespéré, mais le véritable coupable a été trouvé." Je ne la croyais pas. J'avais envie de pleurer. Je ne le faisais pas. J'avais appris à ne jamais être faible, plus jamais je devais être à la merci de mes émotions. Alors je restais stoïque, devant elle, sans réagir. Aucune émotion sur mon visage. Je ne connaissais plus que la peur désormais. "Comment je peux sortir d'ici et reprendre ma vie comme si rien ne s'était passé ?" Ce n'était pas possible. Ça ne le serait jamais. Elle me regarda avec beaucoup de sincérité, déposant sa main sur la mienne. Elle avait toujours cru en mon innocence. Elle avait été la seule. "Je n'en sais rien, mais huit années t'ont été prise, et maintenant, tu peux les reprendre. Tu dois vivre ta vie, hors de cette endroit." Sa sagesse et sa gentillesse me fit chaud au coeur. Elle avait raison. J'avais perdu huit années de ma vie, que je ne pourrais jamais retrouver, mais je devais essayer. Je devais avoir ma revanche sur la vie, sur le destin, sur tous ceux qui n'avaient pas cru en moi. "Merci." Murmurais-je dans un dernier souffle, me relevant. Dans quelques minutes, je serais dehors.

Il me toisa de haut en bas. Je tremblais presque. J'aurais tremblais il y a quelques années de ça, mais aujourd'hui, j'avais appris à contrôler non seulement mes émotions, mes les réactions de mon corps. La prison avait au moins réussi à me forger une carapace. "Donc, si je résume, vous n'avais aucune qualification pour la pâtisserie, et vous sortez de prison ?" Mon visage se figea. Ce fut comme une décharge électrique parcourant mon corps entier. C'était un excellent résumé. Je n'étais pas obligé de signaler mes huit ans d'incarcération en prison, loin de là. Quelqu'un de normal aurait très certainement caché ça le plus profond possible. Pourtant, je me sentais presque obligé d'en faire part. Je voulais que quelqu'un m'accorde réellement sa confiance, malgré tout. Et inventer une excuse pour n'avoir jamais travaillé en huit ans, c'était difficilement une tâche aisée. "C'est ça." Je me raclais la gorge. J'étais certain d'avoir un nouveau refus. Depuis que je m'étais installé à New York, j'avais fait passer des cvs partout, et avait eu pas mal d'entretien, jusqu'à ce que je dévoile mon passé. Heureusement, pour le moment j'avais la compensation financière de l'état pour mes huit années injustifiées derrière les barreaux. Pourtant, je voulais une vie normale, et donc un travail. C'était beaucoup plus compliqué ce que j'avais pu imaginé. "Vous avez le permis ?" J'acquiesçais, avant de répondre oui. J'étais surpris. Il me rendit mon cv. Mes maigres espoirs s'écroulèrent alors. C'était trop beau pour être vrai. "On a besoin d'un homme à tout faire. Les livraisons, l'achat des produits, s'occuper des réservations, nettoyer. Si vous voulez apprendre la pâtisserie, vous êtes au bon endroit, et vous aurez le meilleur mentor, mais avant, vous devez faire vos preuves, comme n'importe qui." Je fis de gros yeux. Venait-il réellement de me proposer un travail ? "Alors ?" S'impatienta-t-il. "Vous ne le regretterez pas." Déclarais-je, plsu sur de moi que jamais. Il sourit, me tendant sa main. J'attrapais cette dernière avec un entrain qui m'était alors inconnu. C'était ma deuxième chance. C'était ma possibilité de faire quelque chose de bien, dans ma vie.