« Monsieur Anderson, il y a eu une erreur sur l'échographie. » L'infirmière se tenait devant mon père qui lisait une revue dans la salle d'attente. Mon père la regardait, incrédule. « Une erreur? La petite va bien, j'espère? » La jeune infirmière sourit gentiment. « En fait, le bébé va bien. C'est un garçon. » Mon père la regarda, soulagé, et regarda en direction de la salle d'accouchement.
Une dizaine de minutes plus tard, mon père se tenait près du lit d'hôpital où ma mère était allongée et me tenait dans ses bras. « Eh bien, on dirait qu'il va falloir tout redécorer. » Mon père regardait ma mère, visiblement fatiguée de l'accouchement. J'étais le premier garçon de la famille et le seul. Ma petite sœur, la cadette de la famille, viendrait quelques années plus tard. Mes parents avaient toujours voulu avoir plusieurs enfants, ils étaient tous les deux enfant unique et voulaient nous éviter de grandir dans l'ennui. Et comme de fait, je n'ai pas eu à me plaindre de solitude, petit.

« Cal', arrête, c'est dégueulasse, pose ça! » Je tenais le ver de terre devant le nez de Melanie, qui me regardait avec horreur. J'adorais l'énerver et elle me le rendait bien. « Oh, ça va, il te mangera pas! Il est tout petit, regarde! » La petite blonde soupira et se pencha pour ramasser un tas de terre. Elle me le lança au visage. « Hey! Mais j'ai rien fait! » Je laissai tomber le ver sur le sol et passai ma main dans mes cheveux, pensant enlever la terre mais je ne faisais qu'empirer mon cas. Melanie éclata de rire. Elle était tellement jolie quand elle riait. « T'es vraiment idiot! T'en mets partout. » Je lui souris et bondit sur elle, posant mes mains sur ses cheveux blonds tressés pour la salir à son tour. « Caleb, non! Fais pas ça! » Elle se retenait de pas rire et gigotait pour tenter de m'éviter. Elle s'enfuit en courant et s'assit sur le banc du parc où nous étions les seuls à jouer. Je couru la rejoindre, essuyant mes mains sur mon jeans. Ma mère me tuerait plus tard pour être aussi sale, mais pour le moment tout ce qui comptait, c'était m'amuser. Je m'assis près de Melanie et elle me regarda, ses grands yeux bleu rivés dans les miens. « Tu penses qu'on va être amis pour la vie? » Je souris. « Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement, tu sais. » On ne faisait que rigoler, mais au fond, nous savions bien que c'était la vérité.

Des pas sur l'asphalte se firent entendre et une grande rouquine vint nous rejoindre. Ma grande sœur, Sophia, se planta devant nous et nous regarda d'un air sérieux. « Il faut rentrer, Caleb. Et maman va être furieuse, regarde toi, tu es tout sale! » Elle regarda Melanie et roula les yeux. « Salut Melanie. Alors, Cal' , tu viens? » Du haut de ses quatorze ans, ma sœur prenait très au sérieux son rôle d'aînée. Elle était un peu énervante, par moment, mais on s'entendait quand même bien. Je jetai un coup d’œil à la petite blonde assise près de moi et poussai un soupir. « On se revoit plus tard, Mel. » Elle acquiesça et je disparus avec ma sœur.

Ses mains glissaient sur mon t-shirt et nos lèvres se cherchaient. Elle éclata de rire. « Shh, tais-toi, ils vont nous entendre! » Melanie me regarda, ses yeux bleu pétillants de malice, et m'embrassa de plus belle. « T'es trop coincé, relaxe, y'a personne ici! » Elle gloussa et détacha son chemisier. Par respect, je fixais le banc derrière elle. Tout le monde faisait la fête dehors sur le terrain de football, et nous étions enfermés dans le vestiaire. Je souris et me débarrassai de mon t-shirt, qu'elle n'avait pas réussi à retirer, puis l'attirai vers moi. On fit l'amour ce soir-là, après douze ans d'amour et d'amitié. On avait seize ans et on était persuadés que rien ne pouvait nous arrêter. On était un peu cons, mais ça c'est la jeunesse.

Je glissai une mèche derrière son oreille. Melanie était lovée dans mes bras et me regardait, les joues rougies et ses grands yeux bleu toujours aussi pétillants. « Tu te rappelles, quand on était petits et que l'on disait qu'on serait ensemble pour toujours? » Je hochai la tête positivement et elle sourit. « Je crois que c'est vrai. En tout cas pour moi. » Je posai un baiser sur son front et ma main serra la sienne. « Je t'aime, Mel. » Puis on frappa à la porte, notre moment de solitude venait de se terminer.

« Caleb, baisse la radio s'il te plaît. » Je tournai le bouton du volume comme Mel me l'avait demandé. Elle était fatiguée, je n'aurais jamais dû l'emmener à cette stupide soirée d'anniversaire. On aurait très bien pu fêter ça tous les deux à la maison, mais Melanie voulait absolument que l'on fête mes trente-deux ans entre amis. Elle caressait son ventre rebondi. La petite devait arriver dans quelques semaines seulement, mais elle semblait sur le point d'exploser à tout moment.
L'orage éclata et la pluie se mit à tomber. On ne voyait pratiquement rien sur la route, alors je ralentis à la limite minimale. Un petit con derrière moi klaxonnait pour que j'avance, mais je ne voulais pas. C'était pas le moment d'avoir un accident, surtout avec Melanie dans la voiture. Elle dormait à présent, la tête appuyée contre sa ceinture de sécurité.
Tout s'est passé terriblement vite. Le jeune derrière moi accéléra et tenta un dépassement. Avec la pluie, la route était glissante et il perdit le contrôle. La voiture fit un tour complet sur elle-même et s'écrasa directement contre mon pare-brise. Mon coeur battait à tout rompre et je tournai la tête en direction de Mel qui ne disait pas un mot malgré le choc abrupte. Sur le côté de sa tête, du sang avait commencé à couler. Je saisis le téléphone qui traînait dans le porte-boisson et appelai l'ambulance.

Ils m'avaient mis dans une pièce fermée, une sorte de bureau où je tournais en ronds. Je voulais savoir comment elle allait, mais personne n'avait voulu me donner de nouvelles. Elle était en salle d'opération depuis plus d'une heure déjà. La porte s'ouvrit et un homme en sarrau s'approcha de moi. Mon coeur fit un bond et malgré la peur d'une réponse négative, je posai ma question. « Comment elle va? » Je bégayais. « Et le bébé? Il va bien? » Le médecin restait silencieux et me fit signe de m'asseoir. Je restai debout. « Monsieur Anderson, je suis désolé de vous l'apprendre, mais votre femme est décédée. » J'éclatai en sanglots. Je me foutais de tous les clichés des hommes qui ne pleurent pas et qui sont forts et je m'assis sur la chaise, pleurant comme un bébé. Le docteur était mal à l'aise mais faisait comme si ça ne le dérangeait pas. « Par contre, nous avons réussi à sauver votre fille. Notre équipe de chirurgie a procédé à un accouchement d'urgence et elle est en santé. » J'écoutais ce qu'il me disait mais ne comprenais pas vraiment. Il venait carrément d'anéantir ma vie. Je tentai de reprendre le dessus et sanglotant, je réussis à articuler une phrase normale. « Est-ce que je peux voir ma femme? » Il hocha la tête et me fit signe de le suivre.

Melanie était sur la table, ils avaient nettoyé ses cheveux blonds qui paraissaient roux après l'accident. Elle était immobile et pâle et lorsque je touchais à sa peau, elle était froide comme un glaçon. J'étouffais des sanglots, sachant que j'avais sûrement l'air ridicule de pleurer comme un gamin, mais à ce moment-là ça ne comptait plus. Je venais de perdre ma femme et en même temps ma meilleure amie. Joyeux anniversaire, c'était le pire cadeau du monde.
Je dus finalement laisser les médecins l'emmener, et je fus dirigé vers la pouponnière. Ça m'était complètement sorti de la tête. Lorsqu'on me tendit la petite fille minuscule qui pleurait, je compris que j'allais être tout seul pour l'élever. Elle ne connaîtrait jamais sa mère, sauf en photos.

Aujourd'hui, je me sens coupable. C'est ma faute, ce qui s'est passé. Si nous étions restés à la maison, Melanie serait là aujourd'hui, et Mia aurait une mère. Tout est ma faute, malgré ce que les gens tentent de me faire croire. Je n'ai jamais revu le petit con qui nous est rentré dedans. Il a eu pas mal de chance, beaucoup plus que nous.