Depuis le jour où Agness avait découvert la présence d'Eli à l'hôpital, cette image ne la quittait plus. Elle avait toujours en tête sa voix qui chantait, son sourire auprès des enfants. Et pourtant elle n'osait pas lui en parler. Eli était un des clients les plus réguliers du café où elle travaillait. Ce n'était probablement pas le seul, mais au moins c'était celui qui attirait le plus son attention. Elle s'était rendue compte qu'elle ne le connaissait pas, ou si peu. Elle y avait cru un instant, depuis qu'il venait encore plus régulièrement au café et qu'ils avaient brisé la glace, et qu'ils la raccompagnait de temps en temps le soir chez elle aussi. Ils parlaient de tout et de rien, des choses légères, heureuses et amusantes. Ils ne parlaient pas des choses graves, des choses lourdes, et pourtant il y en avait dans leur passé, en tous cas dans le passé d'Agness. Ils ne reparlaient jamais de cette fameuse soirée où elle s'était faite agresser en plein coeur de Central Park, de cette fameuse nuit où il lui avait sauvé la mise, et peut-être même la vie. Ils ne parlaient jamais non plus du passé sombre de la jeune femme, c'était une habitude, elle n'en parlait jamais. Elle avait appris des choses pour lui, mais pas cela, pas le fait qu'il chante pour les enfants malades. Tout comme lui ne savait pas toutes ces choses sur elle. Elle n'avait jamais eu une mauvaise image de lui, au contraire, mais au point d'imaginer qu'il se dévoue de cette manière pour les enfants, elle était loin du compte.
Il se faisait assez tard et dans les couloirs de l'hôpital, elle évoluait sans attirer l'attention. Elle retrouva rapidement le chemin qu'elle avait emprunté la dernière fois en tombant par hasard sur lui et posa dans un coin pour l'écouter tout en laissant tranquille. De là où elle se tenait il ne pouvait pas la voir, ne pas être déranger et alors elle pourrait le voir sous une autre nature, comment se comporte Eli quand il ne sait pas qu'elle est là, et en l’occurrence qu'il est avec des petits malades. "Alors c'est ce que là que tu te caches les soirs où je ne te vois pas au café ?" Lança-t-elle finalement en se montrant aux yeux d'Eli alors qu'il avait terminé ses chansons. Il venait souvent oui, et il la raccompagnait souvent aussi, mais il ne passait pas ses journées à table, il venait en fin de journée, probablement après son travail. Et que toutes les fois où elle ne le voyait pas, finalement il était probablement là.

Elle avait vu les enfants passer devant elle, accompagné par des infirmières. Ils avaient tous l'air si chétif et si pâle, et pourtant des sourires contrastaient sur le visage, sous l'effet de la musique. Certains même jeter de derniers regards en arrière pour dire au revoir à Eli. C'était extrêmement touchant à voir et inévitablement Agness se sentait touchée au coeur. Elle ne voyait que son dos, affairé à ranger sa guitare dans son étui. Il tourna enfin la tête vers elle et elle découvrit une lueur de surprise dans ses yeux, suivie d'un sourire bête, comme s'il était gêné de la voir là. Une impression qui ne fit que se confirmer lorsqu'elle le vit passer une main dans ses cheveux. Pourtant ce n'était pas comme si elle l'avait pris en quelque sorte la main dans le sac. Il baissa les yeux et marcha jusqu’à sortir de la salle, refermant la porte derrière lui. Il était dans le couloir avec elle, et se repassait une fois de plus la main sur sa nuque. Il enfouie ses manches dans ses poches et elle croisa les bras sur sa poitrine. « Je pourrais te retourner la même question Eli ! » Lança-t-elle avec une jovialité qui lui décrocha un sourire. Malgré tout c'était aussi une manière de ne pas tout lui dire, de ne pas lui avouer qu'elle était malade, de ne pas se l'avouer à elle-même non plus. Elle ne voulait pas y croire, elle ne voulait pas l'accepter, comme tant d'autres dans son cas. Alors elle préférait se focaliser sur lui, sur lui et uniquement lui.  « Ca fait combien de temps que tu viens chanter pour les enfants ? » Elle afficha un petit sourire, un peu timide. C’était toujours étrange de le croiser en dehors de l’institution du café. Même s’ils se voyaient de temps en temps en dehors, lui la raccompagnant jusqu’à chez elle, c’était toujours différent. C'était comme irréel de le retrouver ici, comme si tout partout où elle posait ses yeux elle le voyait lui. Au café, quand elle rentrait chez elle, et maintenant à l'hôpital. Elle était surprise aussi de le voir si timide et gêné, elle ne l'avait jamais vu de cette manière. Il lui avait toujours donné l'impression d'un homme fort, qui n'avait peur de rien et que rien ne déstabilisait. D'autant plus depuis qu'il l'avait défendu contre un agresseur à Central Park.